Union africaine : les huit dossiers qui ont marqué le sommet d’Addis-Abeba

Publié le 28 May 2022
33e sommet de l’Union africaine © Présidence sud-africaine
33e sommet de l’Union africaine © Présidence sud-africaine

Le 33e sommet des chefs d’État de l’Union africaine s’est achevé au petit matin du mardi 11 février. Libre-échange, autonomie financière, lutte contre le terrorisme, crise en Libye, imbroglio bissau-guinéen, Sahara occidental… Voici un résumé des dossiers qu’il ne fallait pas manquer à Addis-Abeba.

Minuit est passée depuis quelques minutes à Addis-Abeba, au siège de l’Union africaine. Un ministre des Affaires étrangères, sur le pont depuis le 6 février, nous alerte : « On reprend les débats dans quelques minutes ». Soupir. Les heures défilent. Les portes de la salle Mandela se referment sur les chefs d’État et chefs de délégation. Le huis clos reprend et la nuit continue.

Il est désormais deux heures du matin. Quelques gardes ont pris leur pause, nous laissant jeter un œil sur les débats qui se poursuivent. Puis, les portes se referment une nouvelle fois. Notre ministre, lui, a quitté l’UA depuis une demi-heure, agacé par ces méthodes de travail. La plupart des chefs d’État l’ont devancé depuis longtemps.

Le sommet des chefs d’État de l’UA ne se sera donc achevé que mardi 11 janvier, peu avant quatre heures du matin. On y aura parlé de libre-échange, de financement de l’UA ou encore de lutte contre le terrorisme. Au bout de la nuit, Jeune Afrique résume les débats.

  • Le Sahel au cœur des préoccupations sécuritaires
Défilé militaire des combattants du MNLA à l’occasion du congrès du mouvement à Kidal, le 2 décembre 2019. © Baba Ahmed pour JA
Défilé militaire des combattants du MNLA à l’occasion du congrès du mouvement à Kidal, le 2 décembre 2019. © Baba Ahmed pour JA

Réunies à huis clos, les délégations se sont longuement interrogées sur l’opportunité d’envoyer des troupes au Sahel sous la bannière de l’UA. Néanmoins, aucune décision formelle n’a encore été prise et le débat devrait se poursuivre lors d’un prochain sommet en mai, en Afrique du Sud.

Invité de ce sommet de l’UA, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres multiplie les déclarations sur la problématique sahélienne. « Le maintien de la paix dans sa forme traditionnelle ne suffit sûrement pas, en particulier là où il n’y a pas de paix à maintenir, comme nous le voyons au Sahel », a-t-il ainsi déclaré, faisant allusion à la mission de l’ONU au Mali.

Le secrétaire général de l’ONU a plaidé pour l’octroi d’un mandat (sous le chapitre 7 de la charte de l’ONU, autorisant le recours à la force et juridiquement contraignant) et d’un financement onusien au G5 Sahel.À LIRELe tour d’Afrique d’António Guterres : Libye, Sahel, Cameroun, Guinée, RDC, climat…

Le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a quant à lui tapé du poing sur la table, regrettant un « manque de solidarité » des Africains vis-à-vis du G5. Si le commissaire Paix et sécurité de l’UA Smaïl Chergui a annoncé un nouvel apport de dix millions de dollars au Fonds pour la paix de la part d’États membres de l’UA, ce fonds n’atteint aujourd’hui que la somme de 164 millions de dollars.À LIREÀ Paris, Déby, Issoufou et IBK s’agacent des « promesses » non tenues des Occidentaux

  • Peu d’avancées sur la Libye
L’OTAN a déclaré que l’un de ses drones sans pilote avait disparu au-dessus de la Libye, le mardi 21 juin 2021. © MC2 Alan Gragg/AP/SIPA
L’OTAN a déclaré que l’un de ses drones sans pilote avait disparu au-dessus de la Libye, le mardi 21 juin 2021. © MC2 Alan Gragg/AP/SIPA

À l’instar des chefs d’État sahéliens, le secrétaire général de l’ONU a lié les questions libyenne et sahélienne, tout comme l’Algérien Smaïl Chergui. « La destruction de la Libye du fait de l’intervention de 2011 a ouvert la porte aux trafics dans le Sahel et jusqu’au lac Tchad », a rappelé ce dernier.

Mais le dossier libyen n’a pas connu d’avancées majeures, malgré une réunion du Conseil de paix et de sécurité qui lui a été largement consacré, en présence, notamment, de la délégation libyenne et des présidents égyptien Abdel Fattah al-Sissi et congolais Denis Sassou Nguesso (président du Comité de haut niveau de l’UA sur la Libye).

L’UA, qui souhaite accentuer son partenariat avec l’ONU, a néanmoins décidé de transférer sa mission (actuellement basée à Tunis) à Tripoli et a annoncé qu’en cas de succès du cessez-le-feu négocié à Genève, elle enverrait une mission d’observation de la trêve, en coopération avec les Nations unies.

Selon nos sources, l’UA réfléchit à l’extension de la mission de sa représentante pour la Libye, la Tunisienne Wahida Ayari Sakkej, mais les contours de ce futur mandat sont encore flous. Là encore, l’UA a prévu de faire le point sur cette crise libyenne lors du sommet extraordinaire prévu en mai en Afrique du Sud.

  • Le débat sur le Sahara occidental relancé ?
Le mur de sable séparant le Front Polisario et l’armée marocaine au Sahara occidental © Minurso
Le mur de sable séparant le Front Polisario et l’armée marocaine au Sahara occidental © Minurso

Déjà annulée lors du dernier sommet de l’UA à Niamey, la réunion de la troïka sur le Sahara occidental, composée des présidents Paul Kagame (Rwanda), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud) et Abdelfattah al-Sissi (Égypte), n’a pas eu lieu, alors qu’elle était prévue dans la matinée du 9 février.

Raison invoquée : manque de temps, le président sud-africain ayant reçu des délégations sud-soudanaises jusque tard dans la nuit du 8 au 9 février. En 2020, la RDC a pris la place du Rwanda au sein de la troïka.

Pour autant, la question sahraouie n’a pas été absente du sommet, Cyril Ramaphosa réitérant son soutien au « droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental » lors de son discours d’investiture. Dans la foulée, c’est le président algérien Abdelmajid Tebboune qui a abondé dans le sens du président sud-africain. De quoi agacer le chef du gouvernement marocain Saâdedine el-Othmani et son ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, présents dans la salle.

Interrogé par Jeune Afrique, le chef de la diplomatie chérifienne s’est pourtant montré serein sur la question : « C’est une position connue de ces deux pays. Nous constatons que sur les 54 membres de l’UA, deux seulement ont cette position. On nous disait pourtant qu’il y en avait plus ! La dynamique est sur le terrain : les pays africains ouvrent des consulats (à Laayoune, ndlr), se rendent à des compétitions sportives sur place et voyagent au Sahara. C’est ça la réalité.”

  • L’UA rejette le « deal du siècle » sur la Palestine
DRU_9418 © AntRugeon
DRU_9418 © AntRugeon

Faki Mahamat n’a pas mâché ses mots lors de l’ouverture du sommet des chefs d’État, le 9 février : « Le cas de la Palestine est celui qui illustre le mieux la fragilité des engagements internationaux. Le plan américano-israélien, qualifié de « deal du siècle », a été conçu et élaboré en-dehors de toute concertation internationale et, pire encore, en l’absence des principaux concernés, les Palestiniens. C’est une énième violation des multiples résolutions des Nations unies.”

L’allocution du Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh, qui a eu les honneurs de la tribune lors de la cérémonie d’ouverture du sommet des chefs d’État, a été vivement applaudie.

En présence de Ahmed Aboul Gheit, secrétaire général de la Ligue arabe, Cyril Ramaphosa n’a lui non plus pas manqué de réaffirmer son soutien et sa solidarité avec le « peuple palestinien et sa quête légitime d’un État indépendant et souverain ». Comme la majeure partie de la communauté internationale, l’UA a jugé le plan Trump inacceptable, car imposant des conditions inéquitables aux Palestiniens.

  • La Zleca revient à l’Afrique du Sud
Les chefs d’État de l’Union africaine lors du lancement officiel de la première phase opérationnelle de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), le 7 juillet à Niamey. © Twitter officiel de la Présidence du Niger
Les chefs d’État de l’Union africaine lors du lancement officiel de la première phase opérationnelle de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca), le 7 juillet à Niamey. © Twitter officiel de la Présidence du Niger

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca) aura été sur toutes les lèvres lors de ce sommet de l’Union africaine. Alors que son secrétariat général doit être lancé d’ici mars, avec un siège à Accra, au Ghana, les délégations africaines ont longuement discuté à huis clos des candidatures au poste de patron de l’organisation.

Après deux écrémages, la liste des 120 candidatures a été réduite à trois noms : la Nigériane Cécilia Akintomide, le Sud-Africain Wamkele Mene et le Congolais (RDC) Faustin Luanga. Les présidents sud-africain Cyril Ramaphosa (qui a pris la présidence de l’UA), congolais Félix Tshisekedi et nigérian Muhammadu Buhari ont ensuite abordé le sujet dans leurs discussions personnelles. Mais aucun consensus n’a été trouvé et l’Assemblée des États membres a dû procéder à un vote.

C’est finalement Wamkele Mene, l’ancien négociateur sud-africain pour la Zleca, qui l’a emporté, après au moins quatre tours de scrutin et une belle résistance de Cécilia Akintomide. Plusieurs délégations étaient réticentes à l’idée de confier à l’Afrique du Sud un poste supplémentaire dans l’architecture de l’UA. Mais la RDC et le Nigeria n’ayant pas ratifié le texte fondateur de la Zleca, cela représentait un frein symbolique à leur candidature.

Selon nos sources, le processus de ratification est toutefois en cours à Kinshasa et l’UA a encouragé ses États membres à préparer la mise en œuvre de la Zleca et sa mise en adéquation avec les différentes communautés économiques régionales existantes. Un sommet exceptionnel de l’UA sur la Zleca est désormais prévu en mai en Afrique du Sud.

LE TEMPS DU COLONIALISME ET DE L’IMPÉRIALISME EST RÉVOLU

« Nous devons construire un marché dont les entreprises africaines devront être les acteurs principaux. Le temps du colonialisme et de l’impérialisme est révolu », a déclaré Cyril Ramaphosa, le 9 février. Le lancement opérationnel de la Zleca sera célébré par une autre rencontre de l’UA, au Tchad, en juillet.

  • L’imbroglio de la Guinée-Bissau
Umaro Sissoco Embaló, à Paris, le 21 janvier 2020. © Vincent Fournier/JA
Umaro Sissoco Embaló, à Paris, le 21 janvier 2020. © Vincent Fournier/JA

Umaro Sissoco Embaló était bien présent à Addis-Abeba. Accueilli à son arrivée à l’aéroport par la présidente éthiopienne, Sahle-Work Zewde, avec les honneurs militaires, il n’a en revanche pas pu s’asseoir aux côtés des chefs d’État lors de ce sommet de l’UA. À sa place, Suzi Barbosa, la ministre des Affaires étrangères démissionnaire, était porteuse d’une lettre de mission signée par… l’ancien président Jose Mario Vaz.

Umaro Sissoco Embaló s’est quant à lui contenté de rencontres informelles avec, notamment, des diplomates du Congo-Brazzaville, du Sénégal ou encore du Tchad. La Cour suprême de Guinée-Bissau examine en effet actuellement un nouvel appel de son rival, Domingos Simões Pereira, après que la commission électorale nationale a pourtant validé une nouvelle fois, le 4 février, la victoire de Sissoco Embaló. L’Union africaine a donc joué la prudence et préféré ne pas inviter ce dernier, qui est quant à lui toujours décidé à organiser son investiture pour le 27 février.À LIRE[Édito] Umaro Sissoco Embaló, l’ovni de Bissau

Le 9 février, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), présidée par le Nigérien Mahamadou Issoufou, s’est réuni à huis clos en marge du sommet de l’UA. Cette fois, c’est le Premier ministre Arisitide Gomes qui a assisté aux débats pour la Guinée-Bissau aux côtés des représentants des États membres, dont les présidents sénégalais Macky Sall, burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, ivoirien Alassane Ouattara ou nigérian Muhamadu Buhari. La Cedeao a demandé à la Cour suprême de Guinée-Bissau de prendre une décision pour le 15 février 2020 au plus tard afin de « garantir la paix et de la stabilité du pays ».

En délicatesse (et c’est un euphémisme) avec le chef de l’État guinéen Alpha Condé, qu’il n’a pas croisé à Addis-Abeba, Sissoko Embalo peut en revanche compter sur le soutien du président en exercice de l’organisation ouest-africaine, Mahamadou Issoufou. Les deux hommes se sont d’ailleurs vus en tête-à-tête dans la matinée du 10 février.

  • Le Nigeria demande un report du lancement de l’eco
Monnaie eco © Adria Frutos pour JA
Monnaie eco © Adria Frutos pour JA

Si le mini sommet extraordinaire de la Cedeao, le 9 février, a porté sur la situation en Guinée-Bissau, les présidents de la sous-région ont également discuté du lancement de la monnaie unique ouest-africaine, l’eco, initialement prévu en juillet 2020 et au cœur d’une querelle de leadership entre le Nigeria et la Côte d’Ivoire.

Le 10 février, le Nigérian Muhammadu Buhari, qui en a notamment discuté avec son homologue nigérien Mahamadou Issoufou, a fait savoir que son pays demandait un report du lancement, estimant que les conditions n’étaient pas remplies pour respecter le calendrier voulu par Abidjan. « Les critères de convergence n’ont pas été remplis par la majorité des pays. Il faut donc prolonger le délai », a fait savoir la présidence nigériane.

  • La levée des sanctions contre le Burundi, le Zimbabwe et le Soudan
Le président burundais Pierre Nkurunziza au défilé militaire à l’occasion de la fête de l’Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2015, à Bujumbura. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA
Le président burundais Pierre Nkurunziza au défilé militaire à l’occasion de la fête de l’Indépendance du Burundi, le 1er juillet 2015, à Bujumbura. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

L’Algérien Smail Chergui a plaidé pour la levée des sanctions de l’Union européenne (UE) et des États-Unis à l’encontre du Zimbabwe. Le président zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, a d’ailleurs lui-même rappelé à l’Assemblée des chefs d’État que ces sanctions étaient un frein au développement de son pays.

Selon nos informations, l’Assemblée des chefs d’État a adopté une résolution réitérant sa demande de levée des sanctions de l’UE envers le Burundi. Enfin, l’UA a également indiqué que le Soudan devrait être retiré de la liste américaine des États finançant le terrorisme. Une demande appuyée à plusieurs reprises par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Gutteres lors du sommet de l’UA.