Philippe Duneton: «Unitaid cherche à éliminer les pandémies de VIH, tuberculose et paludisme d’ici 2030»

Publié le 28 May 2022

Des médicaments plus vite et moins chers en Afrique. Voilà quinze ans que l’initiative internationale Unitaid, lancée par trois chefs d’État, dont Jacques Chirac, offre notamment aux Africains malades du sida les anti-rétroviraux à un prix abordable. Mais le socle d’Unitaid reste fragile, car cette initiative n’est soutenue que par huit pays, dont la France. Cela dit, avec le Covid-19, la donne internationale est en train de changer. Explications du directeur exécutif d’Unitaid, le docteur Philippe Duneton, au micro de Christophe Boisbouvier.

RFI : Quand on est malade du sida, il faut pouvoir acheter des médicaments antirétroviraux. Or cela coûte très cher. Que fait Unitaid pour permettre aux malades de se soigner ?

Philippe Duneton On fait deux choses. D’abord, on simplifie les traitements. Quand on a commencé il y a 15 ans l’accès aux médicaments antirétroviraux, il fallait prendre une douzaine de gélules par jour, ce qui est compliqué. Aujourd’hui, on peut se traiter avec un comprimé par jour. Et surtout, le coût pour les États est très différent parce que, aujourd’hui en Afrique, ça coûte 60 euros par personne et par an. À comparer avec les prix qui existent pour les mêmes produits équivalents en France et en Europe, c’est environ 11 000 euros par personne et par an.

Et comment avez-vous réussi à faire casser les prix en Afrique ?

On a négocié avec l’industrie qui a découvert les médicaments, et on a fait remarquer [aux laboratoires] que, évidemment, les prix qu’ils avaient au Nord ne pouvaient pas permettre d’atteindre les personnes au Sud. Donc, je vous dirais qu’il y a beaucoup de laboratoires qui ont fait cet effort. Cela peut être Sanofi sur la tuberculose, mais c’est vrai pour des compagnies comme Gilead en matière de VIH. C’est aussi le cas pour ViiV. Je dirais qu’il y a beaucoup de laboratoires et j’espère que d’autres pourront rejoindre cet effort collectif pour les produits qui sauvent la vie des hommes, des femmes et des enfants.

Et grâce à cet accès pas cher aux antirétroviraux, combien de personnes ont pu être sauvées depuis 15 ans ?

C’est l’anniversaire d’Unitaid, mais c’est un effort collectif qui est un effort que l’on fait directement pour négocier des prix pour les médicaments, les tests, les outils de prévention de la malaria, pour le dépistage et le traitement du cancer du col chez les femmes. On investit beaucoup dans la santé des femmes. Donc, on estime que, depuis 20 ans, c’est environ 45 millions de personnes qui ont été sauvées au cours du temps, c’est énorme. Mais cela reste un combat, parce que ce que l’on cherche à faire, c’est éliminer ces grandes pandémies, c’est-à-dire le VIH, la tuberculose, le paludisme, à l’échelle 2030. Malheureusement, la pandémie de Covid ralentit ces efforts, parce que ça désorganise les systèmes de soins au Nord et au Sud. Donc, il faut plus de financements pour aider les patients qui en ont besoin.

L’un de vos grands combats, c’est la lutte contre le paludisme, notamment chez les enfants. Que faites-vous pour réduire les infections au paludisme en Afrique ?

C’est une des choses dont on est le plus fier, notamment dans les pays du Sahel, parce qu’au Sahel, la transmission du paludisme notamment chez les enfants se passe pendant la saison des pluies. Donc, des chercheurs du Sénégal, du Mali ont développé il y a maintenant plusieurs années un essai qui visait à voir comment on peut utiliser les médicaments pour réduire le nombre de contaminations des enfants au travers du paludisme en donnant un comprimé par semaine pendant les mois de la saison des pluies. Ils se sont aperçus que 80% des enfants pouvaient être protégés contre le paludisme. Nous, ce qu’on a fait, à partir de cette recommandation, on a travaillé à faire produire les médicaments. Et donc, aujourd’hui, il y a 33 millions d’enfants qui, chaque année, ont accès à ce traitement et on a pu démontrer que 80% des cas étaient réduits. Donc, ce sont les mamans qui demandent des programmes nationaux, avec l’effort et le support des pays.

À l’origine, il y a 15 ans, l’initiative Unitaid a été lancée par trois chefs d’État : le Français Jacques Chirac, le Brésilien Lula da Silva et le Chilien Ricardo Lagos. Actuellement, il n’y a que huit pays contributeurs sur 193. Est-ce que ce n’est pas un ratio très faible et donc, encore fragile pour l’avenir ?

Ce que je constate, c’est qu’avec la réponse à la pandémie du Covid-19, on a reçu le soutien de pays qui, jusqu’à maintenant, ne nous soutenaient pas. C’est le Canada, c’est l’Allemagne. On a reçu plus de soutiens de la France et de la Norvège, qui nous connaissaient déjà et, bien évidemment, je les en remercie. Mais aussi de l’Italie, du Portugal. Donc, tous les chefs d’État au monde ont compris que les questions d’accès équitable étaient centrales dans une vision globale de santé publique, en tout cas dans la lutte contre les pandémies, ce qu’on avait peut-être un peu oublié ces dernières années. Et quand on a commencé, il fallait 10-12 ans pour qu’un médicament utilisé au Nord arrive au Sud. Aujourd’hui, cela prend encore du temps, mais on y arrive dans les moins de trois ans et, dans le cas des traitements anti-Covid, dans les moins d’un an. Et je pense que c’est cette vision collective qu’il nous faut mieux partager, parce qu’effectivement, on bénéficie d’un soutien plus large, avec beaucoup plus de pays donateurs qui nous aident dans cette mission pour le service des personnes au Sud.

Soure : RFI