Pape Ibrahima Kane: «Personne ne peut dire que le bilan de l’Union africaine est bon»

Publié le 28 May 2022

La capitale de la Guinée équatoriale, Malabo accueille les 27 et 28 mai, deux sommets extraordinaires des chefs d’État de l’Union africaine. L’un sur la situation humanitaire, l’autre sur le terrorisme et les changements de gouvernement inconstitutionnels en Afrique. Au cœur de la deuxième rencontre se trouve un texte important, une déclaration adoptée au Ghana par des représentants de l’UA, mais aussi de la société civile ou encore des universitaires. Le texte qui s’intitule « déclaration d’Accra » pose de manière claire le lien entre la mal gouvernance et les coups d’État. Cette déclaration sera-t-elle endossée par les chefs d’État ? Risque-t-elle d’être édulcorée ou simplement oubliée dans les archives de l’organisation panafricaine ? Pape Ibrahima Kane dirige le programme de plaidoyer pour l’Union africaine au bureau ouest-africain de l’ONG OSIWA.

RFI: Lors du sommet sur le terrorisme et les changements de gouvernement inconstitutionnels en Afrique, les chefs d’État devront examiner la Déclaration d’Accra qui a été adoptée le 17 mars dernier. C’est une déclaration ambitieuse. Est-ce que vous pouvez nous rappeler quelques-uns de ses points ?

Pape Ibrahima Kane : La déclaration, je pense qu’elle essaie de faire en sorte que les États respectent les Constitutions qui ont limité les mandats et que rien ne soit mis en avant pour changer ces Constitutions… de manière à ce que l’on puisse éviter les coups d’État, faire en sorte que les populations ne se soulèvent pas tous les deux ou trois ans contre les dirigeants. La déclaration dit que les relations entre l’État et l’opposition doivent être clarifiées par les textes et qu’on laisse à l’opposition le soin de jouer le rôle qu’il lui revient dans une démocratie et qu’on ne l’attaque pas parce que, simplement, on veut amenuiser ses chances par exemple pour gagner des élections et autres. Parce que, qu’on le veuille ou pas, depuis les années 1990, on a eu beaucoup de réformes constitutionnelles, beaucoup de changements au niveau politique, mais peut-on dire que nos sociétés sont devenues de plus en plus démocratiques ? Je ne le crois pas.

Mais si on vous suit bien, dans cette Déclaration d’Accra, il y a finalement quelque chose de très critique sur le bilan de l’Union africaine ?

Tout à fait. Personne ne peut dire que le bilan de l’Union africaine est un bon bilan. Personne ne peut le dire. Si on regarde ce qui se passe dans la région du Sahel, si on regarde ce qui se passe en Afrique centrale avec les crises que des pays comme la RDC connaissent, si on pense à l’Éthiopie, le pays qui accueille le siège de l’Union africaine, personne ne peut dire que les choses ont bien avancé. Mais, il y a une prise de conscience, il y a une volonté de mieux faire.

Au sein de la société civile, qu’attendez-vous de ce sommet extraordinaire ?

On est en train de faire du plaidoyer pour que non seulement ce document soit accepté en l’état par les chefs d’État et de gouvernement, mais aussi que tout soit mis en œuvre pour que ce document-là soit appliqué, faire en sorte qu’on nomme un chat un chat, s’il y a des actes qui sont posés par un certain nombre de leaders et qui peuvent conduire à des situations complexes, qu’on arrête ces leaders-là. L’exemple que je peux donner, c’est l’exemple de la Tunisie où l’actuel président pose des actes qui sont totalement contraires à la Constitution. Non seulement les populations le savent et se soulèvent, l’Union africaine le sait, mais personne ne pose d’acte tendant à freiner les ardeurs de Kaïs Saïed. Donc, on risque de se retrouver face à un mur et cela peut pousser l’armée à prendre le pouvoir. Ce sont ces situations là qu’on veut éviter. Et si on veut l’éviter, il faut que le texte d’Accra soit adopté et appliqué.

Ce sommet va précéder une visite diplomatique du président Macky Sall sur la crise ukrainienne. Comment Macky Sall peut-il avoir une voix qui porte pour tous les pays de l’Union africaine si ces pays sont divisés sur la question comme ils le sont à l’heure actuelle dans leurs rapports avec la Russie ?

Je ne suis pas sûr aujourd’hui, trois mois après le début de cette guerre, que les États africains sont aussi divisés qu’ils l’étaient au début. Le voyage de Macky Sall en Ukraine et en Russie a été suggéré par une conférence de l’Union africaine qui lui a demandé de porter la voix du continent pour aller discuter avec les dirigeants ukrainiens et russes sur un certain nombre de demandes du continent africain. En même temps, une chose c’est d’aller porter la voix, une autre chose c’est de penser qu’on va réussir à arrêter cette guerre. Mais ce que je peux vous dire, c’est que la Russie a beaucoup d’intérêts en Afrique. Quand l’Afrique parle à la Russie, la Russie peut l’écouter.

Source: RFI