Guillaume Compain (Oxfam): Si rien n’est fait, 350000 enfants pourraient mourir de faim dans un mois en Afrique de l’Est

Publié le 28 May 2022

En Afrique de l’Est, une personne meurt de faim toutes les 48 secondes actuellement, affirment les organisations Oxfam et Save the children. Les leçons de la grande famine de 2011 n’ont pas été tirées. Face à la terrible sécheresse qui sévit depuis deux ans en Ethiopie, au Kenya et en Somalie, les systèmes d’alerte n’ont pas fonctionné. Guillaume Compain, chargé de campagne pour la sécurité alimentaire à Oxfam France, est notre invité.

RFI : Quelle est la situation humanitaire actuellement en Afrique de l’Est ? 

Guillaume Compain : La situation en Afrique de l’Est est très inquiétante actuellement d’après un rapport donc que Oxfam a sorti avec l’ONG Save the Children en Éthiopie, au Kenya et en Somalie. On estime qu’une personne toutes les 48 secondes meurt de faim en Éthiopie, au Kenya ou en Somalie actuellement. Cette situation est liée notamment à une grave sécheresse qui touche la zone depuis deux ans désormais, qui est probablement la pire depuis 40 ans, et a plongé à peu près 500 000 personnes dans une situation de famine, c’est-à-dire qu’elles sont en danger de mort imminent, on pense aux enfants en particulier. On estime que 350 000 enfants pourraient décéder si rien n’est fait les prochains mois. 

Alors dans votre rapport, vous mettez en cause notamment le changement climatique, mais il y a déjà eu de terribles sécheresses en 1985 ou en 2011. Est-ce qu’il faut tout mettre sur le dos du changement climatique ? 

Non, la zone est effectivement confrontée depuis des décennies à des épisodes de sécheresse. Le changement climatique n’est pas l’unique responsable de cette situation. Toutefois les phénomènes météorologiques extrêmes, notamment la sécheresse terrible qui touche la région actuellement, se caractérisent par une augmentation de leur fréquence depuis plusieurs années et de leur intensité. 

Et ce qui est exceptionnelle cette fois-ci, c’est la durée de la sécheresse. Je crois qu’il n’a pas plu depuis quatre ans dans certains endroits. 

Oui, en tout cas depuis deux ans, c’est une certitude, et effectivement les signes avant-coureurs de cette sécheresse peuvent s’étendre sur quatre ans. C’est pour ces raisons-là que le rapport d’Oxfam et de Save the Children insiste sur ce manque d’anticipation. C’est-à-dire que des signaux d’alarme ont été lancés à diverses reprises depuis au moins deux ans et malheureusement les déploiements ont été relativement tardifs. En fait, les dispositifs de protection sociale peinent à toucher toutes les populations et sont surtout adaptés pour des réponses à des chocs qui sont déjà survenus, mais prennent rarement en compte les dimensions plus structurelles à résoudre et qui permettent dans les faits de pouvoir peut-être, non pas éviter totalement, mais en tout cas limiter à l’avance les dégâts qui seraient provoqués par des chocs climatiques en particulier. 

Dans votre rapport, vous soulignez le fait que les pays concernés, l’Éthiopie, la Somalie et le Kenya, sont beaucoup trop bureaucratiques et qu’ils ne donnent pas la priorité aux vies humaines par rapport à la politique. 

Oui, c’est-à-dire que la réalité des faits, c’est que souvent les actions d’anticipation sont réalisées au niveau des communautés locales et notamment de la part des femmes qui sont les premières, sur le terrain, à anticiper les problèmes par exemple d’approvisionnement dans les puits, les enjeux de réparer les puits, de prévoir des stocks d’eau quand cela est possible en amont. Donc, ces communautés locales déploient des stratégies autant qu’elles peuvent pour anticiper les problèmes, mais elles ne peuvent pas tout sans financement supplémentaire dans le cadre de l’anticipation. Et malheureusement, les financements arrivent souvent a posteriori, en tout cas trop tard pour limiter les dégâts. 

Alors la question, en effet, c’est de savoir si ces financements ne sont pas détournés. Vous regrettez également le manque d’investissement dans l’agriculture. 

Tout à fait. Lors de la déclaration de Malabo en 2014, les pays de l’Union africaine se sont engagés à atteindre au plus vite un pourcentage de 10% de leur PIB investi dans l’agriculture, malheureusement les niveaux ne sont pas atteints à ce stade. Et donc ces financements dans l’agriculture locale, et notamment dans le déploiement de cheptel et dans le soutien par exemple à la vaccination des bêtes, sont souvent sous-dotés pour soutenir l’agriculture locale. 

Est-ce qu’il y a moyen de développer une agriculture mieux adaptée à la désertification en cours ? 

Tout à fait. Chez Oxfam, on milite de longue date pour le déploiement plus large des techniques d’agroécologie, notamment une préservation des couverts forestiers, une rotation culturale plus régulière, des diversifications de cultures, et parmi ces stratégies, l’agroforesterie et donc le reboisement peuvent limiter à la fois les risques climatiques, puisqu’on permet aux cultures notamment d’être plus résilientes face aux sécheresses ou aux épisodes d’érosion des sols. Et en plus de cela, on n’est moins dépendants par exemple de différents intrants, comme les engrais qui sont parfois difficiles d’accès pour ces populations, pour développer les solutions dont elles ont besoin. 

Au niveau international, est-ce que les promesses des pays donateurs, 4 milliards 400 millions de dollars d’aide urgente, est-ce que ces promesses ont été tenues ? 

Non, alors on espère qu’elles vont être tenues, on est à moins de 10% de cet appel à ce jour. 

Alors vous dites que l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’arrange rien, est-ce à dire que les donateurs se mobilisent plus aujourd’hui pour l’Ukraine que pour l’Afrique ? 

Oui, ce qui est sûr, c’est que les appels humanitaires pour l’Ukraine ont été largement abondés par des États, essentiellement les États-Unis, mais aussi différents pays européens dont la France. Encore une fois on s’en réjouit. En effet, quand on parlait de moins de 10% de l’appel humanitaire pour la corne de l’Afrique, on est effectivement sur un différentiel de budget alloué qui est assez net. 

Et au-delà de l’Afrique de l’Est, y a-t-il d’autres régions du continent qui sont menacées par la sécheresse et la crise alimentaire ? 

Oui, tout à fait. On pense évidemment au Sahel. Les chiffres du Cadre harmonisé pour le Sahel et l’Afrique de l’Ouest parlent de 27 millions de personnes qui souffrent de faim aiguë actuellement au Sahel et en Afrique de l’Ouest, c’est la pire crise alimentaire depuis une décennie. Et surtout les projections d’ici la fin de la période de soudure, donc à la fin de l’été, sont de 38 millions de personnes qui pourraient être dans une situation de faim aiguë si rien n’est fait pour endiguer cette crise. 

 Notes sur le Rapport d’Oxfam et Save the children

Source: RFI